Bail commercial : requalification ou revendication ?

Il arrive que, dans certaines hypothèses, la protection de la propriété commerciale, expression des dispositions d’ordre public des articles L.145-1 et suivants du code de commerce, se trouve volontairement malmenée, contournée.

Il est en effet des situations fréquentes dans lesquelles le bailleur, souhaitant éviter de se voir imposer le carcan des dispositions statutaires, décide de conclure un bail professionnel, voire un contrat de location-gérance alors qu’objectivement les conditions d’application du statut des baux commerciaux sont remplies.

Dans cette hypothèse, le preneur, qui souhaiterait voir requalifier le contrat en bail commercial et ainsi bénéficier des dispositions protectrices, dispose d’un délai de 2 ans à compter de la conclusion du contrat ; c’est extrêmement court mais c’est l’application stricto sensu des dispositions de l’article L145-60 du même code.

« Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans »

A noter cependant que dans l’hypothèse d’une fraude – ce qui suppose sa démonstration – le jeu de la prescription est paralysé en application de l’adage « fraus omnia corrumpit » ; en d’autres termes, la prescription ne court pas et le preneur pourra toujours, plus de deux ans après la conclusion du bail, solliciter sa requalification en bail commercial[1].

A côté de ses « dérogations » illicites, existent les dispositions spécifiques de l’article L.145-5 du code de commerce, permettant de déroger au statut des baux commerciaux sous certaines conditions : le bail dérogatoire stricto sensu, le bail saisonnier et la convention d’occupation précaire.

Concentrons-nous sur les deux premiers :

Le bail dérogatoire obéit aux dispositions de l’article précité : il ne peut dépasser une durée de 3 ans à compter de la conclusion du contrat, renouvellement inclus. Si à l’expiration de ce délai + 1 mois, le preneur est laissé en possession du bien « il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre » ;

Et à la différence de l’action en requalification du contrat, cette action en « revendication » du statut, par le seul effet de la loi, se prescrit par 5 ans[2] :

« Mais attendu que la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à la prescription biennale »

Le bail saisonnier obéit à une règle simple : le caractère saisonnier de la location. En d’autres termes, dès lors qu’il est démontré que le bail a effectivement un caractère saisonnier, c’est-à-dire une remise des clés et une restitution en fin de saison, une possession non continue des locaux par le preneur d’année en année etc. (les critères utilisés par les juridictions sont nombreux), il peut être conclu X baux saisonniers à la suite sans que le preneur ne puisse revendiquer le bénéfice du statut.

Qu’en est-il lorsque, sous couvert d’un prétendu bail saisonnier, il n’est question que de se soustraire aux dispositions impératives applicables au bail dérogatoire ?

Rappelons que le juge est tenu de restituer à la convention son exacte qualification en application de l’article 12 du code de procédure civile[3] :

« Qu’en statuant ainsi, sans procéder à aucune analyse des éléments concrets de la cause, alors que la dénomination d’une convention ne suffit pas à la caractériser, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ».

Dès lors que le juge a restitué au bail litigieux sa véritable qualification, il ne reste plus qu’à déterminer si le preneur peut revendiquer la propriété commerciale en application de l’article L.145-5 précité ; et dans quel délai.

Dans un arrêt rendu en septembre 2020[4], la 3e chambre civile a jugé, dans une espèce où les parties avaient qualifié le contrat de bail de saisonnier alors qu’il était manifestement dérogatoire :

 « vu les articles L. 145-5 et L. 145-60 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 18 juin 2014 :

Il résulte de ces textes que l’action en requalification d’un bail saisonnier en bail commercial est soumise à la prescription biennale »

Une lecture (trop) rapide pourrait laisser penser à une assimilation du régime de la requalification à celui de la revendication ; il n’en est sans doute rien. Le contraire serait une prime aux comportements frauduleux.

Comme le souligne un auteur[5], l’éclairage se trouve dans les faits. Dans cette espèce, le preneur agissait en « requalification » et non en « revendication » de sorte que la cour d’appel qui avait constaté la prescription de l’action en requalification ne pouvait, dans le même temps, juger l’action recevable sur le fondement de l’action en revendication.

Enfin, aux termes d’un arrêt récent, la Cour de cassation vient de juger “la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à prescription, la cour d’appel a violé le texte susvisé”[6].

L’action en revendication, qui résulte du seul effet de la loi n’est donc soumise à aucune prescription.

Par conséquent, le preneur qui souhaiterait obtenir le bénéfice du statut sera donc bien avisé, dans une hypothèse comparable, de solliciter la revendication du statut qui est imprescriptible et non la requalification du bail avec sa prescription biennale.

Vous êtes dans cette situation ? ; notre cabinet, dédié au droit des affaires et au droit des sociétés à Montpellier, peut vous conseiller utilement.

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[1] Civ. 3e, 19 novembre 2015, n°14-13882

[2] Civ. 3e, 1er octobre 2014, n°13-16806

[3] Civ. 3e, 8 septembre 2016, n°15-17955

[4] Civ. 3e, 17 septembre 2020, n°19-18435

[5] Bastien Brignon, Maître de conférences, HDR Université Aix-Marseille ; Lexbase Hebdo édition affaires n°650 du 8 octobre 2020

[6] Civ. 3e, 25 mai 2023, n°21-23007

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